(Re)prendre le temps
Chèr·e·x·s lecteur·ice·x·s,
Les féministes noires sont-elles forcément anticapitalistes ?
C’est une des questions que nous proposèrent d’aborder Vanessa Eileen Thompson et Denise Bergold-Caldwell, chercheuses et activistes alors basées en Allemagne dans le cadre d’une conversation autour des histoires et des contextes emmêlés des féministes noirs. A cette occasion, j’eus la chance de converser en ligne avec Hakima Abbas, Maisha Auma et Margo Okazawa-Rey. Une version éditée fut ensuite publiée (en anglais) dans la revue de science politique féministe allemande Femina Politica (à lire ici).
Pour penser le lien entre le féminisme noir et la critique du capitalisme, deux mots clés me sont venus : le « monde » et la « vie ». Je répondis : « [Le féminisme noir] représente le monde pour moi et me donne la vie. Le féminisme noir est une constellation de pensées, de figures, de personnes, d'états d'âme, de sentiments, d'actions, d'êtres et de relations. Et ces constellations ont été nourries par les expériences de résistance au colonialisme, à l'esclavage et à leurs vies d’après partout sur la planète. Elles sont centrées sur les expériences et les résistances de celleux dont la capacité à donner, à soutenir et à prendre soin de la vie a été interrompue, forcée et codée en tant que matière principale du capitalisme raciste. Ensuite, le féminisme noir est une méthode pour entrer en relation avec le monde, c’est une manière de poser les bonnes questions. Poser les bonnes questions pour être en relation avec la vie selon un autre mode, un mode de relation au vivant qui se veut non extractif et non appropriatif. Pour moi, c'est une façon de toujours se rappeler comment nous pouvons être en relation avec la vie et le monde d'une autre manière que les systèmes capitalistes raciaux (...) »
Comme l’illustre cet extrait, à mes yeux, penser et pratiquer le féminisme noir, c’est chercher à clarifier ce que cela veut dire que de cultiver – individuellement et collectivement – une relation au monde et au vivant qui s’ancre dans le refus des logiques capitalistes d’’appropriation, d’exploitation, de violation, ou encore de mise à mort. Une telle approche m’a été inspirée par de nombreuses lectures. Dans un article qui vient de paraître dans la revue Marronnages (consacrée aux questions questions raciales au crible des sciences sociales), je reviens sur deux textes phares anglophones, la Déclaration du Combahee River Collective (1977) et l’ouvrage Scenes of Subjection de Saidiya Hartman (1997). Ces deux textes m’ont fait comprendre qu’un mode de fonctionnement du capitalisme passe par sa capture de notre temps : pour perdurer, l’oppression capitaliste se nourrit du temps historique mais aussi du temps qui alimente nos vies. Face à cette logique de vol de nos temporalités, pour résister, nous trouvons des brèches, des moments fugaces de résistance. Cette réflexion intitulée «Les (dés)engendrements du capitalisme racial: Temps et pouvoir au sein des pensées féministes noires anticapitalistes « est en libre accès dans un numéro dédié au Capitalisme racial.



(Re)prendre le temps, hors des logiques de production de la valeur capitaliste, c’est aussi ce que j’ai voulu faire dans le cadre de l’espace « Passages » qui est encore à voir jusqu’au 5 janvier 2025 au Musée d’Ethnographie de Genève dans le cadre de l’exposition « Mémoires : Genève dans le monde colonial ». Avec les représentant·e·x·s de collectif suisses romands de lutte antiraciste et leurs invité·e·x·s , nous avons pris le temps de revenir sur l’histoire récente de notre mouvement pour les vies noires, de nos accomplissements et du futur de la lutte dans le cadre de trois longues rencontres. Des extraits de ces moments de récit collectif peuplent à présent les murs du musée sous forme d'affiches (créées par Netillo Rojas). Ils vous sont offerts sous formes de cartes postales. Avis à celleux qui cherchent encore des idées de cadeaux anticapitalistes en cette fin d’année.
Chaleureusement,
Noémi
Ps : Ancrée dans une perspective féministe noire et anticapitaliste, la newsletter bilingue « Vocalize » veut faire résonner un point de vue critique sur le colonialisme et son poids dans notre présent. Elle veut aussi faire entendre des rêves de libération et creuser les sillons de futurs plus justes. J’ai pour ambition de l’écrire ir-régulièrement, lorsque l’envie me vient de partager avec vous mes textes, contributions, et sources d’inspiration. Dés/ré-abonnez-vous à tout moment. Partagez-la si sa fréquence vous parle.
Taking (back) the time
Are Black feminists necessarily anti-capitalist?
This was one of the questions that Vanessa Eileen Thompson and Denise Bergold-Caldwell, researchers and activists then based in Germany, proposed to us in a conversation around the entangled histories and contexts of Black feminists. On this occasion, I had the chance to converse online with Hakima Abbas, Maisha Auma and Margo Okazawa-Rey. An edited version was subsequently published (in English) in the German feminist political science journal Femina Politica (read it here).
To think about the link between Black feminism and the critique of capitalism, two key words came to my mind: “world” and “life”. I then answered: “[Black feminism] means the world to me, and it gives me life. With these two key words: world and life, I try to conceptualize Black feminism(...) Black feminism is a constellation of thoughts, of figures, of people, of moods, of feeling, acting, being and relating. And those constellations have been nurtured by the experiences of resistance to colonialism, slavery, and their aftermaths everywhere on the planet. They are centering on the experiences and resistances of those whose capacity to give and sustain and care for life has been interrupted, forcibly, and coded as the main matter of racist capitalism. And then [Black feminism¡ is a method to relate to the world, a way of asking and generating the right questions. To be in relation to life in another way in a non-extractive, non-appropriative way. For me, it’s a way of always remembering how we can be in relation to life and the world in another way than racial capitalist systems (…).”
As this excerpt shows, for me, thinking and practicing Black feminism means seeking to clarify what it means to cultivate - individually and collectively - a relationship to the world and to the living that is rooted in the refusal of capitalist logics of appropriation, exploitation, violation and killing. Such an approach has been inspired by a great deal of reading. In an article just published in the journal Marronnages (devoted to racial issues as examined by the social sciences), I return to two key English-language texts, the Declaration of the Combahee River Collective (1977) and the book Scenes of Subjection by Saidiya Hartman (1997). These two texts made me realize that one of capitalism's modes of operation is its capture of our time: to endure, capitalist oppression feeds on historical time, but also on the time that nourishes our lives. To counter such a theft of our temporalities, to resist, we find breaches, fleeting moments of resistance. This reflection (written in French) entitled “The Un/Engendering of Racial Capitalism : Time and Power in Anti-Capitalist Black Feminist Thoughts” is freely available in an issue dedicated to Racial Capitalism.



Taking time away from the logic of capitalist value production is also what I wanted to do as part of the space “Passages” which runs until January 5, 2025 at the Museum of Ethnography of Geneva as part of the exhibition “Remembering: Geneva in the colonial world”. With representatives of Swiss French-speaking anti-racist collectives and their guests, we took the time to look back at the recent history of our movement for Black lives, our achievements and the future of the struggle, during three long encounters. Extracts from these moments of collective storytelling now populate the walls of the museum in the form of posters (created by Netillo Rojas) and are offered to you in the form of postcards. Note to all those who are still looking for anti-capitalist gift ideas at the end of the year.
Warmly,
Noémi
PS: Rooted in a Black feminist and anti-capitalist perspective, the bilingual newsletter "Vocalize" aims to resonate a critique of colonialism’s weight in our present, to echo dreams of liberation and sketch more just futures. My ambition is to write ir-regularly, when I feel like sharing my texts, contributions and sources of inspiration with you. Unsubscribe or re-subscribe at any time. Share it if the frequency speaks to you.